production de charbon de bois
22/02/22

La production du charbon de bois : une pratique à risque au Kongo Central

Le besoin en charbon de bois est d’une importance capitale en RD Congo. En milieu rural comme en milieu urbain, l’utilisation de ce combustible de cuisson est une pratique très courante dans les ménages et les besoins sont énormes quand on sait que Kinshasa compte 17 millions de personnes à nourrir quotidiennement. Cette demande justifie l’engouement autour du métier de charbonnier. Plus de 400.000 citoyen·ne·s œuvrent dans ce secteur d’activité, brûlant de manière peu contrôlée de grandes quantités de bois. On estime que 60% de ces charbonniers développent des problèmes respiratoires. Bien que prisé car rentable, ce métier présente donc des risques liés à la santé et à l’environnement.

Un projet de recherche financé par l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur (ARES) et porté par Gael Deboeck, directeur de département de kinésithérapie et réadaptation à l’ULB, a permis à Pierre Lofuta, doctorant congolais, de collaborer avec ULB-Coopération. Ce chercheur analyse les effets sur la santé et sur la condition physique de l’exposition à la fumée de charbon de bois, dans les provinces de l’Ouest du Congo.

Sur le plan médical, cette thèse présente trois enjeux : tout d’abord, elle va permettre aux professionnel·le·s de santé d’être mieux informé·e·s sur les différents problèmes potentiels des patients exposés à la poussière et à la fumée de charbon de bois. Ensuite, cette recherche devra permettre de sensibiliser les personnes œuvrant dans ce secteur à des méthodes de travail plus écologiques et moins nocives. Enfin, elle se veut un outil pour élaborer une politique de surveillance de ces activités artisanales à risque.

La production du charbon de bois s’effectue généralement dans les zones où la forêt est dense. Elle commence par l’abattement des arbres, et deux formes de production s’ensuivent, l’une plus artisanale que la seconde, un peu plus structurée. Cette dernière concerne essentiellement les ONG qui travaillent dans l’agroforesterie et qui appuient les paysans de coopératives : ceux-ci plantent des arbres et les coupent après 10 ans pour en faire du charbon de bois. Quant à la production artisanale, elle s’effectue dans des villages, le bois est coupé dans les forêts alentours, est constitué en meules, puis brûlé pour obtenir du charbon de bois de bonne qualité. Là, seules trois semaines sont nécessaires au processus puisque le reboisement et la durabilité n’entrent pas dans l’équation.

La pratique artisanale présente des risques sanitaires, tels que des problèmes cardio-respiratoires et un impact négatif sur la composition corporelle. En outre, plus de la moitié des charbonniers consomment du tabac ou d’autres stupéfiants de manière abusive, afin d’endurer les conditions très difficiles de production. Combinée aux fumées émanant de la production elle-même, cette consommation contribue au vieillissement précoce des poumons.

La recherche de Pierre Lofuta est en cours mais les résultats obtenus à ce jour corroborent les hypothèses de départ. Tout d’abord, la composition corporelle des charbonniers est différente de celle des non-charbonniers. Ensuite, la dépense énergétique des charbonniers est plus élevée que celle des agriculteurs par exemple car ils fournissent beaucoup plus d’efforts. En outre, les analyses sanguines ont révélé un taux élevé de monoxyde de carbone ; les charbonniers sont plus à risque de développer de l’asthme ou des maladies cardio-vasculaires, notamment l’hypertension artérielle. Enfin, les résultats ont montré que leur état général de santé s’avère affaibli, notamment concernant leur endurance.

Une spécificité de cette recherche est de s’inscrire volontairement dans une démarche de dissémination et vulgarisation des résultats afin de changer les pratiques. C’est ainsi qu’outre les données présentées lors d’événements scientifiques, les résultats seront publiés dans des revues de vulgarisation des secteurs de la santé, de l’environnement et du travail, en parallèle du travail de plaidoyer envisagé.

À ce stade, la sensibilisation des charbonniers est en cours. Il en va ainsi de l’impact négatif de la consommation des stupéfiants sur leur santé et de l’encouragement à s’adresser à des structures spécialisées pour être pris en charge. Enfin, c’est aussi la sensibilisation à d’autres métiers moins dangereux et plus écologiques comme l’agriculture et l’apiculture qui est effectuée.

Outre l’appui déjà fourni par ULB-Coopération, Pierre Lofuta plaide pour continuer la vulgarisation des données de ses recherches et pour agir à améliorer la situation. Cela pourrait se faire (i) en encourageant et/ou en finançant les coopératives locales à fabriquer des fours écologiques qui sont moins polluants, (ii) en organisant des sessions d’information et de sensibilisation des paysans sur les conséquences écoenvironnementales et sur la santé de l’exercice de ce métier, et (iii) en organisant des formations du personnel soignant au sein des structures avec lesquelles l’ONG collabore, afin d’améliorer leurs compétences dans la prise en charge des problèmes spécifiques liés à l’exposition à la poussière et la fumée du charbon de bois.

Affaire à suivre…

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