Webinaire Enabel
17/05/21

Lumière sur l’interculturalisme en Éducation à la citoyenneté mondiale & solidaire (ECMS)

Nombreuses sont les ONG qui s’investissent activement dans l’éducation de la jeunesse à la solidarité internationale. ULB-Coopération en fait partie et déploie cette sensibilisation des jeunes adultes aux enjeux posés par les interdépendances Nord-Sud par des ateliers participatifs mobilisant dialogue et réflexion collective.

Au sein de nos sociétés multiculturelles, la question de la diversité et de la cohésion sociale s’impose comme un enjeu majeur. Elle suscite régulièrement la polémique et, depuis peu, engendre une remise en question des pratiques de l’ECMS. En ce sens, le “Wiki-Lunch” du 30 mars 2021, initié par le programme Annoncer la Couleur d’Enabel, a permis d’amorcer la réflexion. Retour sur les lignes directrices de l’intervention de Cécile Giraud, experte en ECMS.

L’épineuse question de la cohésion sociale

Les sociétés ont répondu différemment selon les contextes et les époques au besoin de cohésion sociale. Fin des années soixante, la réponse qui s’impose est l’intégration rapide des nouveaux arrivants. Le maître-mot de ce modèle est l’assimilation. Il implique que l’individu adopte l’identité du pays d’accueil afin de s’y fondre. Cécile Giraud souligne la fragilité de cette théorie. En effet, l’assimilationnisme s’effrite dès lors que l’identification à l’identité nationale ne séduit plus ces nouveaux arrivants. Néanmoins, et il est intéressant de le souligner, certains pays (p.ex. France) semblent toujours se cramponner à ce modèle bien qu’aujourd’hui, il ne semble plus adéquat car il requiert de la part de l’individu un sacrifice trop important : celui de son identité culturelle. Particulièrement en vogue dans les pays anglo-saxons (p.ex. Canada), un second modèle, celui du multiculturalisme, se répand dans les années 80-90. Séduisant, voire idéaliste, il érige la diversité en socle commun de la nation. Inscrite dans la loi, la reconnaissance de la diversité se pare dès lors de légalité et implique que l’État en soit un acteur et un fervent défenseur. La pluralité des cultures, a priori rendue légale, devrait jouir d’une meilleure longévité. Est-ce pour autant suffisant pour assurer le bon vivre commun ? Encore une fois, les rêves d’unité dans la diversité font place à une désillusion et réorientent alors le débat sur la cohésion sociale.

Il serait donc nécessaire de repenser notre approche de l’éducation à la diversité.

L’interculturalisme, le nouvel Eden ?

Un nouveau paradigme a le vent en poupe. L’interculturalisme, basé sur les principes du dialogue et de la célébration de la diversité, s’est imposé récemment comme une réponse plus adéquate aux structures de nos sociétés. Dans cette optique, le dialogue interculturel apparait comme une voie viable vers un renforcement de la cohésion sociale et vers la construction d’une perception positive de “l’autre”. À travers ce modèle, ce n’est pas l’État qui veille au respect de la diversité mais bien l’individu. Ainsi, chacun se voit doté d’un pouvoir d’action qu’il met à profit, afin de construire une société plus juste et tolérante. Pour s’exprimer pleinement, le dialogue interculturel requiert toutefois l’adhésion de tous et toutes à un socle de valeurs universelles (démocratie, droits humains, propriété privée, libertés individuelles, etc.). Or, très vite, des questions surgissent :

  • Ces valeurs sont-elles réellement universelles ou plutôt occidentales ?
  • Le dialogue est-il un outil adapté à toutes les sociétés, à tous les contextes (p.ex. situations d’exclusion ou de racisme ancré, résultant de forces politiques et historiques – p.ex. Palestine/Israël) ?
  • La célébration de la diversité ne mènerait-t-elle pas à une plus grande fragmentation sociale et une prégnance des communautarismes ?
  • Le modèle favoriserait-il la “folklorisation” et “l’essentialisation” des cultures, quitte à reproduire le paradigme “nous vs. les autres” que Cécile Giraud dénonce par ailleurs (p.ex. les cuisines du monde, la musique ethnique, etc.) ?

 Au-delà de l’interculturalisme

C’est à cet instant que commence le véritable travail de remise en question des cadres de pensée et des pratiques de l’ECMS. Compte tenu des limites que représentent les différentes approches de la diversité, serait-il possible d’élaborer un modèle qui se nourrisse de leurs points forts et qui tirerait de leurs faiblesses, des leçons utiles à la mise en place de pratiques nouvelles ?

Il semble que le processus requière plusieurs étapes. D’abord, comprendre et convenir que nous sommes tous porteurs d’une variété de cultures qui nous définissent et que cette hybridité doit être prise en compte dans le traitement réservé à la diversité en ECMS.

Deuxièmement, s’accorder sur le “vivre ensemble” : est-il possible et réellement concevable ? La cohésion sociale se construit continuellement, s’ajuste et nulle société ne peut prétendre l’avoir atteinte. C’est un idéal.

Enfin, il semble déraisonnable d’imaginer une solution applicable à toutes les sociétés et dont les effets produits seraient irrémédiablement identiques et positifs.

De toutes ces réflexions, que retenir pour orienter nos actions en ECMS ? Probablement qu’il nous faudrait dépasser la critique des “biais culturels” afin d’approfondir l’étude des contextes socio-historiques, économiques et politiques où les relations humaines se situent. En effet, il semble nécessaire de comprendre comment certaines forces extérieures ont favorisé l’installation progressive de biais culturels qui, aujourd’hui, sont ancrés dans les structures mêmes de certaines sociétés (p.ex. États-Unis).

En cela, les possibilités d’actions et les moyens que possède l’ECMS se voient étendus. Non seulement, l’expert·e en ECMS participe à la conscientisation de phénomènes sociaux (racisme, diversité, etc.) mais il·elle offre également les clés de compréhension de leur construction à travers le temps. En cela, l’ECMS dépasserait ses visées éducatives pour se muer en instrument critique, grâce auquel il serait possible d’appréhender le monde à travers une analyse profonde des contextes sociopolitiques et historiques qui sous-tendent nos sociétés. Encore une fois, cela prouve que le secteur est loin d’avoir dévoilé tous ses atouts en ce qui concerne l’éducation à la citoyenneté solidaire !